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L'entrée en sociologie

Luc Boltanski est "entré en sociologie" sur la pointe des pieds, en dilettante : « J’y suis venu par ce que je suis devenu étudiant à une époque où c'était ça qui avait l’air intéréssant. Comme beaucoup d’adolescents, je voulais faire de la littératture. Donc je voulais soit ne rien faire, ce qui était l’opinion préférentielle, soit à la rigueur faire de l’histoire, dans l’idée que l’histoire conduisait à ne rien faire". Dans les années 1960, il percevait la sociologie comme un prolongement de l'engagement politique: « J’avais des copains qui allaient vers la sociologie, et ce qu’ils m’en disaient m’intéressait. Cétaient pour la plupart des copains politiques (j’ai "milité", pendant un an ou deux, à la fin de la guerre d’Algérie, dans un groupusucle qui s’appelait l’Union des Gauches Socialistes, un mélange de catholiques de gauche et de trotskyste) et faire de la sociologie me semblait être un prolongement du militantisme".

En outre, la sociologie paraissait être à même d'apporter des solutions à la crise d'identité et de valeurs qu'il traversait: « J’avais aussi comme beaucoup d’adolescents des problèmes de valeur, qui étaient dans mon cas, renforcés par une double affiliation familiale avec des racines, au moins affectives, allant à la fois vers le catholicisme et vers l’identité juive, vers un l’extrême gauche et vers un respect pour des valeurs qui, depuis la gauche, pouvaient paraître traditionnelles. J’ai cru échapper à certains dilemmes pratiques en prenant cette espèce de distance que me semblaient procurer les sciences sociales".


« Et puis j’ai rencontré Bourdieu »

Etudiant en sociologie à la Sorbonne, Boltanski devient le collaborateur technique de Pierre Bourdieu et travaille comme vacataire sur ses enquêtes. Luc Boltanski mène ses premières recherches dans le cadre du Centre de Sociologie européenne, dirigé par Raymond Aron puis Pierre Bourdieu. De ses premiers travaux (sa thèse de troisème cycle, Prime éducation et morale de classe, est publiée en 1968) jusqu'aux années 1975, le travail sociologique de Boltanski se caractérise par l'unité théorique qui sous-tend ses recherches, menées sous l'égide de Pierre Bourdieu. Très vite donc, Boltanski est inséré dans le "groupe de jeunes que Bourdieu avait réuni autour de lui". Pour Boltanski, "on avait vraiment le sentiment de participer à une entreprise collective". Au début des annes 1970, Boltanski est élu maître-assistant à l'EHESS et il commence à travailler directement avec Pierre Bourdieu : " De 1970 à 1976, j'ai ainsi travaillé presque quotidiennement avec Bourdieu, surtout la nuit, parce que c'était un travailleur de nuit, ce qui moi ne m'arrangeait pas trop parce la nuit je dors (…). C'était une vie en groupe, avec ses côtés agréables et aussi ses contraintes, cette espèce de vie collectice qu'ont les adolescents. Mais c'était intellectuellement très excitant". Boltanski participe à la fondation de la revue Actes de la recherches en sciences sociales : "Puis, il y a eu la revue. Dans ces années là, on avait du mal à publier dans les revues, nos papiers étaient souvent refusés. Le "bourdieusisme" n'était pas encore un mainstream comme il l'est devenu dans les années 80. Alors on s'est dit qu'il fallait que nous ayons notre propre revue".

Sans qu'il soit possible de situer précisément la rupture avec Bourdieu, il semble que celle-ci intervienne au milieu des années 1970, date à laquelle Boltanski se désengage des Actes et se désinvestit de l'équipe encadrée par Bourdieu. Cette rupture est avant tout intellectuelle puisque la sociologie de Boltanski attaque presque frontalement celle de Bourdieu (pour les enjeux intellectuels, se reporter à la rubrique "Une sociologie" du site). Cependant, ces enjeux intellectuels sont bientôt redoublés et prolongés par des enjeux institutionnels lorsque Boltanski fonde avec Laurent Thévenot le Groupe de sociologie politique et morale en 1984. En tout état de cause, les réactions de Boltanski consécutives à mort de Pierre Bourdieu s'orientent dans deux directions : une critique intellectuelle du travail sociologique de Bourdieu et une critique plus personnelle de sa posture de "mandarin" :
"C'est difficile d'avoir un jugement définitif pour ou contre Bourdieu dans la mesure où son œuvre est en partie de la tradition revisitée. Au delà du relief personnel, il a effectué un travail de synthèse et de transmission de la tradition sociologique. Pour être juste, il faut absolument distinguer une œuvre importante et discutable, dans le bon sens du terme, de l'espèce d'agit-prop des dernières années entretenue par un groupe de suiveurs dogmatisés. Comme pour le lacanisme, il y avait autour de lui, une espèce de petit groupe de suiveurs auto-proclamés fonctionnant comme une secte politique et se servant de cette appartenance comme un coup de pouce. La partie que je trouve la plus intéressante, c'est ce qu'il a fait en anthropologie. La plus disctubale à mon avis, c'est le durcissement du système à partir de la moitié des années 70 avec un fort accent positiviste. C'est à ce moment là que je me suis écarté de lui. Je laisse complètement de côté les dix ou quinze dernières années. Sur les médias notamment, ce n'était plus de la sociologie, c'était de l'agit-prop. Personnellement, j'ai été l'élève de Bourdieu à la Sorbonne puis son assitant au moment de la création du centre de sociologie européen avec Raymond Aron. Ce que je retiens aussi de lui, c'est la qualité du professeur dans les années 60-70" (Luc Boltanski, Le Monde, 25 janvier 2002, "Les réactions de nombreux compagnons de route").

Boltanski, comme d'autres sociologues formés par Bourdieu, semble avoir souffert de l'impossibilité de nouer un véritable dialogue scientifique avec le "maître". Bernard Lahire partage le même jugement:

« Qu'est-ce qui peut forcer à la vertu scientifique une personnalité qui possède sa revue, sa collection (moyens objectifs de n'avoir de compte à rendre à personne), son centre de recherche, qui s'est vu attibuer la médaille d'or du CNRS en 1993 et qui, pour couronner le tout, est le seul représentant de sa discipline au Collège de France depuis 1981? On serait arrogant à moins (…) Une revue -Actes de la recherches en sciences sociales - qui a vécu plus de vingt ans sans comité de rédaction constitué, qui fonctionne sans rapports écrits scientifiquement motivés concernant le refus des articles envoyés et qui laisse les auteurs dans l'incertitude complète quant à la publication de leurs papiers jusqu'à la dernière minute, et ce du fait de la décision d'un seul homme, directeur de la revue », Lahire (Bernard), « Pour une sociologie à l'état vif », in Lahire (Bernard), dir., Le travail sociologique de Pierre Bourdieu. Dettes et critiques, Paris, La Découverte, 2001, p. 6.

Le Groupe de sociologie politique et morale

Le groupe de sociologie politique et morale (GSPM) a existé officiellement à partir du premier janvier 1985 mais il a été fondé en 1984 : « Le GSPM, au départ, était composé de gens que j'avais connu dans le groupe Bourdieu et avec lesquels je travaillais toujours depuis quelques temps déjà » : Alain Desrosières, Laurent Thévenot, Fanny Colonna, Nathalie Heinich, Jean-Louis Derouet, Nicolas Dodier, Elisabeth Claverie (qui deviendra l'épouse de Boltanski). « A ce noyau de départ, sont venus s'ajouter les étudiants en DEA et les thésards qui étaient notre vraie richesse : Claudette Lafaye, Francis Chateauraynaud, Philippe Corcuff, Cyril Lemieux (…) Ceci étant, ce groupe avait une vie intellectuelle et collective très intense grâce aux séminaires et aux enquêtes collectives, et aussi aux relations d'amitié qui nous liaient. Ainsi, par exemple, la construction du cadre d'analyse présenté dans De la justification a été tout de suite associée à une série de recherches de terrain auxquels beaucoup de membres du groupe participaient (…) La mise ne place de ce groupe a été pour moi très importante. Plus d'une certaine façon que mes propres travaux. Je crois qu'il s'est vraiment passé là quelque chose de très excitant intellectuellement, de novateur et de très productif, malgré les difficultés matérielles ».


Les citations non référencées sont extraites des deux entretiens de Luc Boltanski parus en 2000 dans les numéros 3 et 4 Raisons politiques intitulés "La cause de la critique".

A. ROUSSEAU et P. WRIGHT.

 

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